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365 jours en Bourgogne

Dégustation : Une révolution venue du Beaujolais

1 Juin 2015 , Rédigé par Laurent Gotti Publié dans #Dégustation, #Histoire

Les 50 dernières années ont radicalement changé notre approche de la dégustation du vin. Une révolution née des relations tumultueuses entre la Bourgogne et le Beaujolais. Retour sur l'histoire étonnante qui a changé jusqu'à la forme de nos verres.
"Fruits rouges", "violette", "vanille". Décrire les arômes de nos vins préférés semble une évidence aujourd'hui. Un passage obligé de la dégustation. Cette pratique est pourtant loin d'avoir été toujours en vogue (lire aussi ce billet). Notre penchant, sans doute un peu trop appuyé, pour la description olfactive est très récent. A peine un peu plus d'un demi-siècle. C'est ce que rappelle l'historien Olivier Jacquet. Dans un travail sur l'évolution du goût du vin*, ce dernier rapporte des propos de 1966, tenus par Pierre Charnay, inspecteur de l'Insitut national des appellations : "Contrairement à ce que disent ceux qui refusent de penser, il n’est pas ridicule de trouver dans le vin des parfums qui, s’ils n’ont pas la même nature chimique que les parfums naturels identifiés, offrent à notre sens olfactif une sensation identique. (…) Il s’agit là d’un travail d’identification."
Il ne viendrait à l'idée d'aucun dégustateur de justifier cette approche aujourd'hui… Que s'est–il donc passé entre-temps ?
Les origines de cette nouvelle forme de dégustation sont à chercher du côté d’un petit négociant du Beaujolais nommé Jules Chauvet. "De formation scientifique (Ecole de Chimie de Lyon), Chauvet s’impose comme un expérimentateur. Entretenant des correspondances régulières avec l’Allemand Otto Heinrich Warburg, prix Nobel de Physiologie pour ses travaux sur la respiration cellulaire et les enzymes, Chauvet s’intéresse rapidement aux molécules aromatiques du vin et à leur perception. Cherchant à établir les lois de la dégustation, il développe des procédés d’analyse sensoriels visant à donner un maximum de cadres « scientifiques » à cet exercice. Pour lui : « L’analyse chimique […] est impuissante à réaliser un contrôle vraiment scientifique et objectif des propriétés du met ou du vin », contrairement à l’analyse organoleptique.

Reformer les habitudes de dégustation

Donnant donc la primeur au bouquet et aux arômes des vins, Chauvet procède à de nombreuses dégustations expérimentales sur des vins du Beaujolais, dégustations totalement nouvelles dans leur approche et faisant appel, pour distinguer les vins, à des référents sensoriels collectifs. (…)
Même si Jules Chauvet ne possède pas la légitimité académique des grands œnologues californiens ou français de son époque, il parvient cependant à faire passer son message qui devient une norme à partir des années 1970 auprès des professionnels de la dégustation, puis des amateurs avertis.", écrit Olivier Jacquet.
Un message entendu avec d'autant plus d'intérêt que le contexte de l'après-guerre est marqué par l'urgence pour l’INAO de délimiter et définir l’appellation « Beaujolais Village » dans la Bourgogne viticole. La question est de savoir s'il existe dans le Beaujolais une aire de production (en dehors de celle des 10 crus) où les vins peuvent se replier en appellation Bourgogne. L’INAO avait organisé à l'époque une dégustation sensée vérifier le caractère bourguignon des Beaujolais analysés.
"Six bouteilles de vin à AOC « Bourgogne » et de 6 bouteilles de vin à AOC « Beaujolais » sont présentés mais, au final, les commentaires de dégustation sont très sommaires et manquent clairement de précision. Ne parvenant pas à définir les caractères de typicité des vins proposés.", souligne Olivier Jacquet. Il y avait donc nécessité à réformer les habitudes de dégustation.
A nouvelle méthode, nouveaux outils. Début 1970 apparaît le verre INAO en forme de tulipe, spécialement conçu par l’Institut, en collaboration avec Jules Chauvet, pour permettre une bonne analyse du bouquet des vins.
Depuis, la forme INAO a été supplantée par de nombreux autres verres plus adaptés encore à la description olfactive. La variété des gammes d'outil aujourd'hui proposées aux dégustateurs surprendrait certainement Chauvet et ses disciples.
Pour autant, la subjectivité de la description olfactive reste, et restera, une difficulté majeure de la dégustation. Quant à la délimitation de l'aire Bourgogne dans le Beaujolais, elle est toujours en chantier…

* Le goût de l’origine. Développement des AOC et nouvelles normes de dégustation des vins (1947-1974).

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