Terroir : concasser n'est pas jouer
Polémique à Gevrey-Chambertin depuis l'intervention de "concasseuses" sur l'un des premiers crus du village. Le terroir est-il en péril ?
La scène est impressionnante : la roche mère mise à nue, concassée, la terre rassemblée en monticule, de côté.
Nous sommes à Gevrey-Chambertin sur le premier cru Bel-Air. Impressionnante, choquante aussi.
Il est entendu qu'un terroir nait de la rencontre entre des dispositions naturelles et le dessein de l'homme d'en tirer un produit. Mais ce cas précis pose question : jusqu'où l'homme peut-il intervenir pour modeler un terroir selon sa volonté ?
Ma consœur Florence Kennel, dont le sérieux ne peut-être pris en défaut, parle d'un "massacre".
Ce n'est pourtant pas la première fois que l'homme intervient en force sur un terroir en Bourgogne. L'un des premiers crus les plus célèbres de Bourgogne, Le Cros Parentoux, parcelle très rocheuse de Vosne-Romanée, a été défriché et planté à l'aide d'explosif par Henry Jayer. Les vins qui en sont issus sont aujourd'hui encensés comme exemplaires d'un rapport clair et concret entre le terroir, l'homme et le vin...
Sur de nombreuses parcelles (et pas des moindres), la vigne est plantée sur des carrières remblayées. Les lieux-dits nommés "Perrières" par exemple. Autre témoignage de l'intervention humaine sur la côte bourguignonne : les meurgers. Ces tas de pierres que l'on rencontre fréquemment dans le vignoble sont le résultat de l'extraction de cailloux gênants pour la culture.
Dans le cas présent, la lourdeur des moyens mis en œuvre interpelle : la roche est concassée sur 40 cm. Essayons de comprendre, ce qui ne vaut pas approbation, comment on peut en arriver à de telles extrémités. Question d'autant plus pressante que le domaine en question est engagé depuis plus de dix ans en biodynamie… Et la qualité des vins qu'il produit est remarquable.
Le domaine dispose d'une parcelle d'un hectare sur le premier cru Bel-Air et l'intervention a concerné la moitié de la surface. Ce premier cru est situé en haut de coteau, la terre y est très maigre. "Elle se limite à 10 à 20 cm. Dix ans après sa plantation la vigne végète, les racines ne trouvent plus d'oxygène pour descendre", explique Pierre Vincent régisseur du domaine de la Vougeraie. "Les rendements sont limités à 15 hectolitres par hectare." Un problème économique : à ce niveau de production, l'exploitation de la vigne coûte davantage qu'elle ne rapporte. Un problème qualitatif aussi : "Les vins sont maigres, manquent de corps", précise Pierre Vincent. Avec ce procédé, il espère que la vigne va enfin pouvoir s'implanter, s'acclimater. "Il n'y a pas de modification chimique, pas d'apport exogène. Nous apportons davantage de vie", justifie aussi Pierre Vincent. Il assure s'être entouré des conseils de géologues, de pépiniéristes. "Il ne faut pas avoir une vision idéaliste du terroir : quelque chose de pur, sain et intouché", ajoute Nathalie Boisset, en charge de la communication du domaine.
Microbiologiste des sols, Claude Bourguignon ne souscrit pas. Loin de là : "Ils se trompent de cause. Si la vigne n'arrive pas à s'implanter, c'est que le matériel végétal n'est pas bon. Celui que propose les pépiniéristes est de plus en plus lamentable". Sur ce terroir classé en premier cru, il lui semble impensable que la vigne n'arrive pas à s'acclimater. Selon ses propres observations, cette intervention n'avancera à rien. "Après avoir effectué des milliers de coupes de sols, je n'ai jamais vu les racines des vignes pénétrer un horizon défoncé." Si ce constat devait se vérifier, la conclusion serait bien triste. Triste et irréversible…
Mise à jour le 16 novembre 2011 : Le cahier des charges des appellations d'origine en Bourgogne précise : "Toute modification substantielle de la morphologie, du sous-sol, de la couche arable ou des éléments permettant de garantir l'intégrité et la pérennité des sols d'une parcelle destinée à la production de l'appellation d'origine contrôlée est interdite, à l'exclusion des travaux de défonçage classique".
Communiqué de presse de l'Organisme de Gestion de l'appellation Gevrey-Chambertin (syndicat de producteurs) reçu le 23 novembre :
D’importants travaux de terrassement ont été entrepris au lieu dit Bel Air à Gevrey Chambertin par le domaine de la Vougeraie.
L’ODG de Gevrey-Chambertin conformément à ses statuts, a jugé, que ces travaux étaient de nature à modifier substantiellement la morphologie, du sous-sol, de la couche arable et des éléments permettant de garantir l’intégrité et la pérennité des sols de cette parcelle en appellation d’origine contrôlée.
L’ODG interdit formellement le broyage, et a fait stopper ces travaux en urgence le 8 Octobre par courrier recommandé.
L’ODG de Gevrey Chambertin, par la voie son bureau, a exigé à l’unanimité, la remise en état du terrain, sous peine de la perte de l’appellation. C'est-à-dire retrait et évacuation de la partie de roche broyée, remise en place de la terre d’origine sur la roche mère, avant la replantation.
Le domaine de la Vougeraie a donné son accord pour la remise en état du site, et a commencé les travaux de réparation.
Jean Michel Guillon, président de l’ODG Gevrey-Chambertin.
Photo : Florence Kennel, avec son amicale autorisation.
Note : Il arrive de voir des tractopelles dans les vignes à la faveur d'un arrachage pour remonter la terre descendue dans le coteau par les effets de l'érosion (cela s'est constaté récemment dans un grand cru de Vosne-Romanée). Ces travaux ne peuvent être assimilés au cas que nous venons d'exposer. Il s'agit d'une restauration du terroir et non pas d'une modification.
Commenter cet article