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365 jours en Bourgogne

Touchez pas au grisbi !

19 Février 2012 , Rédigé par Laurent Gotti Publié dans #Grand cru, #polémique

Verra-t-on un jour de nouveaux grands crus en Bourgogne ? Les enjeux sont importants… Et les résistances sont fortes. Comme en témoigne une réaction suite à la parution d’un article sur le sujet.

Grand-cru.jpgAinsi je ferai « un procès injustifié aux producteurs de grands crus ». C’est en tout cas ce que me reproche dans un courrier l’un de ces producteurs. Un rapide résumé des faits. En fin d'année dernière, en prenant des nouvelles de la démarche de classement en grand cru de deux terroirs emblématiques de Pommard (lire ici), j'apprends que des producteurs de grands crus ont manifesté leur opposition à ce classement. J’en suis surpris et même quelque peu indigné. Aucun dossier n'a, à ce jour, été déposé auprès de l'Institut des appellations d’origine et de la qualité (INAO). Il ne peut donc s’agir que d’une opposition de principe.

On aurait pu croire - naïvement ? - que la Bourgogne, à l'unamité, serait fière que des terroirs supplémentaires soient jugés dignes d'être classés en grand cru dans la région.  

 « Le fil reliant les grands crus à une communauté de destin bourguignonne semble s’effilocher », écrivais-je dans l’article « La locomotive est-elle encore arrimée ? ».

L’hypothèse dérange visiblement. Il est communément admis qu’en Bourgogne les grands crus tirent l’ensemble de la région vers le haut. C’est ce que me rappelle ce producteur.

Cela est vrai, mais malheureusement de moins en moins. L'évolution des prix des appellations génériques n'a pas suivi la même trajectoire que celle des grands crus. Loin s'en faut. Sur une période de 10 ans, les prix en euros constants des vins de Bourgogne se dégradent progressivement, à la fois à l’exportation et dans la grande distribution française. C’est ce que nous apprend l’interprofession. Il est d'ailleurs prévu de « réaliser un travail au niveau de la régulation de la gestion des coûts et de la performance de chacune des appellations ». Que la Bourgogne se questionne sur ses coûts de production a de quoi inquiéter. Comment ne pas craindre l'apparition d’un « phénomène à la bordelaise » ? Pendant que quelques châteaux voyaient leurs prix en primeur augmenter de 2 000 % en 20 ans, le plus important vignoble français d'AOC tombait tout entier dans un profond marasme.  Car, dans le même temps, le prix des grands crus de Bourgogne flambe dans les ventes aux enchères, en particulier à Hong-Kong. Les Chinois les plus riches semblent s’enticher de la Bourgogne. Pour le bien de la région toute entière ?

Comment peut-on se prononcer contre un dossier avant même d'en avoir examiné le contenu. Sinon pour défendre des prérogatives catégorielles. Et puis, il y a une violence certaine à dire en substance à des vignerons qui se donnent du mal pour faire progresser leurs appellations : « N'y pensez même pas. De toutes façons, nous serons contre ». Ou encore : « Vos aïeuls ont manqué de perspicacité, ils auraient pu légitiment y prétendre, mais l'histoire est passée. Tant pis pour vous… » Je n'arrive pas à me résoudre à de tels discours au sein d'une même famille professionnelle et dans la même région.

Ce débat  pose aussi question sur la manière dont certains conçoivent le système des appellations. Ce système est né de la volonté de l'Etat français de légiférer, en collaboration avec les professionnels, au nom du peuple français. En conséquence, les AOC ne sont pas des propriétés privées. Elles appartiennent à la communauté nationale au titre d'un des ses patrimoines les plus précieux. Trop de producteurs l'ignorent ou l'oublient. L'opposition de principe de certains producteurs aux démarches menées à Pommard et Nuits-Saint-Georges peut-être vue comme une tentative de confiscation d'un bien national à des fins privées. Je m'en indigne tout autant comme journaliste, observateur attentif de la Bourgogne, que comme citoyen de ce pays.

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