Vins naturels : pièges à gogos ?
"L'histoire du vin n'aurait pas duré longtemps avec de telles déguelasseries". C’est Bruno Quenioux, pourtant promoteur historique des vins bios, qui l’affirme. Débat !
Rarement il m’aura été donné de retranscrire des propos aussi cinglants. Ils sont de Bruno Quenioux, créateur et ancien responsable de la cave de Lafayette Gourmet (Paris). Je le questionnais sur la tendance, très parisienne, pour les vins dits "naturels", les vins "sans soufre". Le soufre est un antiseptique et un conservateur utilisé pour stabiliser le vin. La plupart en contiennent sous peine de finir en vinaigre. La réponse de Bruno Quenioux n’a pas tardé : "Qu'est ce que ça veut dire vins naturels ? Il n'y a aucun cahier des charges, pas de contrôles. La neige carbonique est naturelle. Vous en mettez sur les raisins à la place du soufre : les structures phénoliques sont toutes brûlées… Qu'on ne s'étonne pas de constater des déviations dans le vin ! Il faut arrêter de monter un label avec ça. Il y a un vrai problème de légitimité. Les clients sont perdus, ils ne savent plus où aller. On est en train de revenir à la vinasse. Certains disent : "Ça c'est un vin authentique !". Ce n'est pas vrai du tout. L'histoire du vin n'aurait pas duré longtemps avec de telles déguelasseries. Un tas de gogos sont paumés au niveau de leurs goûts. Ils ne s'écoutent plus et deviennent capables de boire n'importe quoi. On fait même face à un problème sanitaire. Moi je ne rentre pas là dedans". Il ajoute plus loin : "Dommage que de grands vignerons crédibilisent une telle médiocrité".
Sa prise de position est d’autant plus intéressante que Bruno Quenioux est l’un des promoteurs historiques des vins bios. Il avait largement anticipé, puis accompagné, l’émergence de ces vins à Lafayette Gourmet à partir de 1990. La tendance au "naturel" trouve donc de sérieuses limites à ses yeux.
En prenant ses distances avec l’air du temps, Bruno Quenioux crédibilise son approche du vin. Autant la montée de la viticulture bio est un véritable mouvement de fond qui trouve aujourd’hui sa légitimité scientifique face aux questions et impasses de l’agrochimie. Autant la mode urbaine des vins naturels n’est qu’un feu de paille, un snobisme de pseudo-connaisseurs. Elle finira par s’éteindre. Assez vite, on l’espère, pour ne pas ternir collatéralement les vins bios.
En attendant, rien n’empêche les producteurs de se questionner sur l’emploi du soufre. Quelques jours après cette interview de Bruno Quenioux, les coïncidences des rencontres m’ont emmené chez Pablo et Vincent Chevrot (Cheilly-lès-Maranges), domaine de 17 hectares qui terminera sa conversion à la viticulture biologique cette année. Pablo a décidé de tester la vinification sans soufre sur une cuvée de maranges 2010. Ce jeune viticulteur est, comme son frère, titulaire d’un diplôme national d’œnologie et n’ignore rien des contraintes d’élaboration d’un vin. Il a fait fermenter des raisins issus de la même vigne avec un peu et pas du tout de soufre. Il me propose de descendre en cave, goûter, "à l’aveugle", les deux cuvées encore en fûts. Sans hésitation, je lui désigne le verre de gauche comme étant le vin exempt de soufre. Il est plus expressif au nez, plus croquant en bouche avec des tannins moins accrocheurs en finale. Un vin tout simplement plus digeste. Des caractères que j'avais également appréciés en goûtant des morgon de Marcel Lapierre ou de Jean Foillard et un délicieux moulin à vent 2006 de Jean-Paul Dubost. Sans oublier un magnifique chablis grand cru Vaudésir 1995 de la maison Verget, goûté en 2008 en compagnie de Jean-Marie Guffens. Tout simplement l’un des plus beaux chablis qu’il m’ait été donné de déguster.
Contradictoire avec les propos de Quenioux direz-vous ! Certes. Mais ces vins ont été dégustés en cave ou après un minimum de transport. Ils n’ont pas eu à pâtir de l’absence (ou quasi absence) de protection du soufre. Il aurait fallu garantir une chaine du froid sans faiblesse pour que ces bouteilles contiennent toujours un vin "propre" et marchand à leur destination. Pablo Chevrot le sait, il a bien insisté sur le fait qu’il s’agissait d’un essai de vinification sans soufre. Lors de la mise en bouteille, ou pendant la suite de l’élevage si nécessaire, ce vin recevra une petite quantité de soufre. Un peu de pragmatisme n’est pas interdit, y compris dans le monde du vin...
L'intégralité de l'interview de Bruno Quenioux sera à lire dans Bourgogne Aujourd'hui n°100 à paraître début juin.
Photo : Bruno Quenioux dans sa cave "Philovino" à Paris (5e).
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